Compétition internationale
46th edition
NOVEMBER 15>23, 2024, Nantes - France
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30 ans de Montgolfières d'or

La Saga des 3 Continents

«Alors, raconte…», Combien de fois en 29 ans, cette phrase nous a-t-elle été dite. On nous demandait pourquoi et comment était né le Festival des 3 Continents. Jamais nous n’avons raconté la même histoire — la plupart du temps à l’occasion d’interviews souvent brèves — car il y avait tant de choses à dire. Alors aujourd’hui, sans clore cette histoire, qui nous l’espérons continuera d’une manière ou d’une autre, il est quand même bon de revenir une bonne fois pour toute sur la saga des 3 Continents.

À la fin des années 70, le cinéma sortait des années troublées par la politique. C’en était fini d’entendre «tout est politique» et nous pouvions enfin redire «le cinéma est un ART» et surtout qu’il y avait des artistes pour le faire. Par ailleurs la vision «tiers-mondiste» du monde avait eu l’avantage de porter nos regards vers des pays ignorés, mais avait réduit cette ouverture à des concepts idéologiques et économiques. Les films privilégiaient alors le contenu sur la forme, ignorant la création propre du langage cinématographique. À Nantes, comme en France, après la période sombre qui avait suivi 68, l’activité cinématographique avait repris vers 1972, laissant de côté la dialectique marxiste et la sémiologie de l’image pour se recentrer sur le travail de création et la notion d’auteur. Ainsi la Cinémathèque française avait redémarré à Nantes fidélisant jusqu’à 1000 adhérents et, s’appuyant sur celle-ci la création des Rencontres Cinématographiques avait permis la découverte de jeunes auteurs européens essentiellement, en symbiose avec Les Cahiers du Cinéma, animés à l’époque par Serge Daney avec lequel nous partagions la même vision du cinéma. Une fois par an ces rencontres étaient consacrées à des cinématographies européennes avec leurs dernières créations.

Suivant sa bonne vieille habitude «auteuriste» la France avait jusqu’alors mis en exergue quelques grands créateurs des 3 Continents, en ignorant beaucoup d’autres. On avait ainsi découvert Mizoguchi, Kurosawa (Japon), Satyajit Ray (Inde), Torre Nilsson (Argentine), Nelson Pereira dos Santos (Brésil), Emilio Fernandez (Mexique), avec quelques films, souvent les mêmes qui tournaient dans les ciné-clubs, puis ils passèrent de mode. D’autres avaient pris le relais dans les années 60 et dans les années 70, Nagisa Oshima pour le Japon, Lino Brocka pour les Philippines, Glauber Rocha pour le Brésil, grâce au lobbying (justifié) de certains passionnés (Pierre Rissient pour Brocka par exemple). Glauber Rocha, quant à lui, lié à Godard, faisait partie du «Cinema Novo» mouvement cinématographique au Brésil, le seul je crois à avoir su faire sa promotion en Europe. Il faut dire pour son malheur que le coup d’état avait chassé plusieurs cinéastes hors du Brésil. Ainsi nous étions au Festival de Venise en 1969, puis au Forum de Berlin en 1972, où les cinéastes brésiliens étaient présents et nous avions pu les rencontrer.

En 1975, lors des Rencontres Cinématographiques de Nantes, nous avions montré avec Serge Daney, Os Inconfidentes de Joaquim Pedro de Andrade. Le film, à travers Daney et nous-mêmes, avait d’ailleurs été attaqué physiquement, par un groupe de situationnistes nantais qui sévissaient encore à l’époque. Au cours de l’été 75 nous étions au Brésil et avions rencontré à Rio nombre de cinéastes brésiliens (dont Joaquim Pedro de Andrade visé par l’attaque « situ »). Nous avions alors eu l’idée de faire à Nantes un programme de films brésiliens qui eut lieu au cours du festival Kervégan en juin 1976, préfigurant en quelque sorte le Festival des 3 Continents.

D’une manière générale, la présentation des cinéastes des 3 Continents en Europe était jusqu’en 79 partielle, ponctuelle et fragmentaire, et faite dans des conditions qui ne leur donnaient qu’une visibilité très réduite, leurs films étant occultés dans les festivals internationaux par les films européens et américains sans parler de leur distribution quasi inexistante. Ainsi, le Festival de Cannes 78 avait programmé Bye bye Brazil de Carlos Diegues, le même jour qu’Apocalypse Now de Coppola qui monopolisait toutes les attentions. C’est aussi à cette époque que nous vîmes à Cannes, le très beau film de Satyajit Ray Les Joueurs d’échecs égaré dans une salle de la rue d’Antibes devant 10 personnes. Ray était depuis longtemps oublié par le Festival de Cannes, son chef d’œuvre Charulata avait été refusé et Satyajit Ray blessé. Il avait juré qu’il ne reviendrait pas à Cannes, alors que la présentation de son premier film Pather Panchali l’avait propulsé au tout premier plan. Le Festival pratiquait plus alors la politique des Ambassades que celle des auteurs.

En 1978, nous fûmes invités au Festival de Carthage en Tunisie. Sa thématique consacrée à l’Afrique et au Monde Arabe s’était ouvert cette année-là à l’Asie et à l’Amérique Latine. Nous pûmes rencontrer les cinéastes arabes et africains bien sûr mais aussi Vénézuéliens, Colombiens, Sri Lankais — mais le festival était malheureusement débordé par les débats politiques qui agitaient le monde arabe et le cinéma était souvent oublié. Il n’y eut pas de suite à cette expérience tricontinentale.

Ainsi naquit le Festival des 3 Continents — titre inspiré par le Festival des 2 Mondes de Spoleto, festival de théâtre italien — qui ne voulait en aucun cas être le Festival du tiers-monde. Les cinéastes qu’ils fussent mongols, argentins ou burkinabés étaient traités à l’égalité et n’étaient pas mis dans une 3ème catégorie. Seuls leurs talents de créateurs les départageaient, ils exprimaient leurs cultures dans leur diversité, chaque pays devant produire ses propres images, une compétition devant permettre au réalisateur gagnant d’être reconnu internationalement et ainsi l’aider à poursuivre son œuvre dans son propre pays. Le langage cinématographique étant universel, le jury international devait primer la création cinématographique avant toute chose, en dehors de toute considération politique.

Le projet obtint le soutien de la Ville de Nantes, ce qui permis au festival de naître en novembre 1979. Sa nouveauté en faisait un pari qui n’était pas gagné d’avance, d’autant plus que sa première programmation était plutôt pointue avec la découverte des cinéastes afro-américains. Un comité de sélection, constitué de Catherine Ruelle, Claude Michel Cluny et Serge Daney nous épaulait dans ce premier programme inédit. 7000 entrées furent enregistrées et surtout Louis Marcorelles, journaliste au Monde, écrivit un article élogieux à la Une de ce journal.

«Dès le printemps 1980, nous comprîmes qu’il fallait aller explorer directement sur le terrain pour découvrir sur place les films et leurs réalisateurs.»

Le festival était lancé. Faute de moyens et de temps, nous n’avions pas pu voyager pour cette première édition, mais dès le printemps 1980, nous comprîmes qu’il fallait aller explorer directement sur le terrain pour découvrir sur place les films et leurs réalisateurs. Il est vrai qu’au début, influencés par la politique des auteurs des Cahiers, nous ne pensions qu’aux cinéastes, ignorant complètement les producteurs et l’économie du cinéma. Sur les conseils de Serge Daney qui avait parcouru l’Inde quelques années auparavant, nous partîmes donc là-bas. Il y avait un cinéma d’auteur florissant et à chaque étape nous étions éblouis. À Calcutta, nous rencontrâmes chez lui Satyajit Ray et nous découvrîmes les films de Ritwik Ghatak, un véritable choc. A Trivandrum, dans le Kerala au Sud de l’Inde, nous fûmes reçus par Adoor Gopalakrishnan, surpris de voir débarquer pour la première fois, deux jeunes Occidentaux à la découverte de films et de cinéastes. Il devint notre ami et ceci nous incita à mettre l’Inde du Sud au programme de l’édition 1980. Ainsi en novembre 1980, nous reçûmes les cinéastes de l’Inde du Sud, mais aussi Smita Patil, étoile montante du cinéma indien — qui venait de terminer un film en Inde du Sud — ainsi que Satyajit Ray de passage en Europe, venu saluer le Festival et ses compatriotes. Une rétrospective de ses films fut envisagée avec lui, mais finalement n’eut lieu que 27 ans après, il était malheureusement décédé.

1981 fut l’un des premiers paris un peu fous du Festival mais compte toujours comme une date importante pour les pays du Sud. Sous l’instigation de Pierre Rissient nous envisageâmes une rétrospective du cinéma philippin. Il connaissait bien en effet Lino Brocka, lequel, enthousiasmé par notre projet, nous invita aux Philippines pour concrétiser ce programme. À notre arrivée, nous découvrîmes qu’il n’y avait pas de conservation de films, ni d’archives bien sûr. Les producteurs ne gardaient pas leurs «vieux» films, appelés ainsi dès qu’ils dépassaient 2 ans. Seul Lino Brocka avait pu conserver les siens et quelques autres. Grâce à lui et à un historien critique, nous pûmes retrouver des films petit à petit aux Philippines mais aussi dans les pays où existaient des communautés de Philippins.
Nous pûmes ainsi présenter un programme totalement original, mais aussi contribuer à la création de la première cinémathèque des Philippines et à la préservation des films. 27 ans après au Pakistan, la même histoire se répète, mais la cinémathèque n’est pas encore créée.

Sans rentrer dans tous les détails des années qui vont suivre, mais qui assirent la réputation du Festival, la découverte en 1982 des 2 immenses cinéastes indiens, Ritwik Ghatak et Guru Dutt, malheureusement décédés, compte pour certains parmi les plus grands et incontournables moments de leur vie de cinéphile (Joao Bernard da Costa, directeur chevronné de la Cinémathèque de Lisbonne qui était présent à Nantes dans le jury). La réputation du Festival commençait à grandir et nous vîmes un jour un cinéaste iranien, arriver sans prévenir à Nantes avec sa copie sous le bras après un voyage en train et en autobus depuis Téhéran. 1983 fut aussi d’une très grande richesse et l’occasion de 2 voyages exploratoires, l’un en Chine, l’autre au Mexique.

La Chine restait quasiment «terra incognita» à l’exception de Hong Kong alors anglaise. Un jeune sociologue cinéphile et sinophile avait fait un grand pas, en présentant en Italie quasiment seul en programme chinois : Marco Müller (actuel directeur du Festival de Venise). Le pays commençait à s’ouvrir et nous fûmes parmi les premiers Occidentaux — hormis Müller — à aller à Shanghai et Pékin. Nous fûmes même cordialement reçus dans les studios, mais avec un traducteur accompagnateur omniprésent qui notait tout ce que nous disions. Nous pensions même qu’il y avait des micros dans nos chambres d’hôtel et nous vivions dans le mensonge. On nous disait que tel film n’existait pas, alors que nous découvrions les bobines dans la cabine de projection. Finalement tout s’arrangea, un hommage au réalisateur Xie Jin fut programmé et nous pûmes voir la plupart des films que Marco Müller nous avait conseillés — sauf un (censuré), remplacé par une visite à la Grande Muraille…

En juillet de la même année, voyage au Mexique pour préparer la deuxième grande rétrospective latino-américaine après le Brésil l’année précédente. Un des personnages phares de cette rétrospective était Emilio Fernandez El Indio, icône de l’époque d’or du cinéma mexicain. Il nous reçut d’abord aux studios «America», nous attendant assis avec 2 colts posés sur la table. L’entretien se passa bien et nous sortîmes vivants. Nous fûmes même invités le lendemain chez lui pour mettre au point une sélection de films A la cinco de la tarde — c’était pour le déjeuner —, n’étant pas au fait des habitudes du pays nous avions déjà mangé et ne pûmes honorer le magnifique buffet qu’il nous avait fait préparer. Nous bûmes donc cognac et tequila et visitâmes sa demeure hollywoodienne où il vivait comme Gloria Swanson dans Sunset Boulevard. Nous parlâmes cinéma bien sûr et il écrivit quelques lignes pour le catalogue sur une serviette en papier. Il mourut quelques mois plus tard, avant le Festival. Malgré son absence, la délégation mexicaine comptait 2 personnalités d’exception, l’acteur Pedro Armendariz, qui rencontra alors Jacques Rozier et fut engagé pour le film Maine-Océan et la volcanique Ninon Sévilla, actrice de Rumberas (mélodrames chantés et dansés) qui enflamma le Festival, déposant des baisers pleins de rouge à lèvres sur les joues des hommes. Michel Chauty, alors Maire de Nantes, en fit les frais. Il faut d’ailleurs croire que les maires plaisaient aux actrices mexicaines, car quelques années plus tard, Rosa Carmina, tout aussi célèbre, entraîna un soir Jean-Marc Ayrault dans un mambo endiablé. Les spectateurs découvraient les films mexicains et en particulier riaient énormément aux comédies de Tin Tan, malgré les traductions simultanées, pratiquées alors, mais qui ne pouvaient suivre le rythme effréné des dialogues du film. Les journalistes étaient souvent étonnés par le comportement du public de Nantes, si passionné qu’il avait suivi un film du Bangladesh non sous-titré, sans qu’aucun spectateur ne quittât la salle.

Au cours de ces années de jeunesse, le 6e Festival des 3 Continents, en 1984 fut une date clé. Non seulement parce que nous rendîmes pour la le fois un hommage à un acteur et une actrice, célébrissimes dans leur propre pays : Samia Gamal, star égyptienne et Raj Kapoor, réalisateur indien connu du Maroc à la Chine, y compris la Russie où il était vénéré, mais qui n’avait jamais reçu d’hommage en Occident. Cette année là, le jury couronna 2 films majeurs Les Garçons de Feng Kuei de Hou Hsiao-hsien de Taïwan ce qui permis de le faire reconnaître comme un grand cinéaste et Les Baliseurs du désert du Tunisien Nacer Khemir, un ovni de réalisme fantastique touché par la grâce. Ce film devint un film emblématique du Festival car, sous son égide, il parcourut le monde et fut montré dans les endroits les plus extrêmes où nous l’accompagnâmes: Colombie (Festival de Carthagene), Costa Rica, Guatemala, Panama, Russie (Festival de Moscou), Mongolie (Oulan Bator et désert de Gobi), Kazakhstan, Turkménistan, Jordanie, Koweït, Barhein, Emirats, Oman, Mexique, Argentine, Chili, etc…
Le titre était parfois mal traduit pouvant attirer parfois un public décalé. En Amérique Centrale, ce fut ainsi « Les Bâtisseurs du désert», ou même les « Dévaliseurs du désert », les spectateurs pensant venir voir un western.

1985 fut l’année de l’Argentine. Nous nous rendîmes à Buenos-Aires où l’air était plus léger après les années de plomb de la dictature. Le cinéaste Manuel Antin, un homme remarquable qui dirigeait l’Institut du Cinéma (il fut par la suite le créateur de l’Universidad del Cine, une des meilleures écoles de cinéma du monde et à l’origine de la Nouvelle Vague argentine) nous accueillit. Une sélection fut donc faite, voulant donner l’image la plus vaste du cinéma argentin, incluant aussi bien des films d’auteurs que les films érotiques d’Armando Bo, joués par Isabel Sarli, icône de la classe populaire mâle argentine. José Luis Borges grand cinéphile avant sa cécité, avait accepté un rendez-vous qui faute de temps ne pu se concrétiser. Toutefois il nous écrivit spécialement quelques jolies lignes. La délégation comprenait outre Manuel Antin, Graciela Borges, grande star, Beatriz Guido, scénariste fort connue et reconnue, mais aussi Hugo Fregonese âgé de 80 ans, qui avait une carrière internationale à Hollywood où avait été apprécié un de ses premiers films Apenas un deliquente mais aussi bien sûr Isabel Sarli sans oublier le réalisateur Alberto Fisherman en compétition et l’excellent critique Alberto Tabbia qui nous avait conseillés à Buenos- Aires. Quelques jours avant le début du Festival, Graciela Borges se récusa, puis ce fut le tour de Beatriz Guido et enfin Manuel Antin lui-même qui nous expliqua embarrassé que sa position et la présence d’Isabel Sarli étaient incompatibles. La délégation était décimée, d’autant plus qu’Hugo Fregonese venait de subir une attaque cérébrale, mais il vint quand même malgré une paralysie partielle. Une surprise l’attendait à Nantes, son film envoyé par la Cinémathèque de Buenos Aires était une copie nitrate. Le projectionniste refusa de la projeter au public mais accepta de le faire pour quelques journalistes. Ce fut malgré tout un grand succès. Edgardo Cozarinsky filma Isabel Sarli qui dansa un soir avec Buruchiaga, footballeur international argentin qui jouait à Nantes et mourait d’envie de la rencontrer. Hugo Fregonese ne donna qu’une interview au « Matin de Paris ». Elle fut très longue et ce fut sa dernière, il mourut peu après. 1986 vit pour la le fois le Festival s’intéresser au cinéma de genre et non des moindres, le «roman porno» japonais, films érotiques produits par la Nikkatsu. Par la suite le festival présenta les «Mélodrames argentins», les «Rumberas mexicaines», les «Chanchadas brésiliennes», cinéma de genre qui se prolonge aujourd’hui.

1988 fut une année importante pour le Festival. Il acquit définitivement cette année là la réputation de «découvreur» auprès des professionnels occidentaux. Nous avions sélectionné en compétition un film iranien de Bayram Beyzai. Un peu plus tard, nous reçûmes pour visionnement un autre film intitulé Où est la maison de mon ami?. Le titre n’était pas vraiment stimulant mais ce film était réalisé par Abbas Kiarostami, un cinéaste inconnu en Occident, mais qui jouissait en Iran d’une bonne réputation — il avait débuté avant la Révolution avec un joli film Le Passager — Ce film nous avait fait une très forte impression mais ne voulant pas à l’époque mettre 2 films d’un même pays en Compétition, il fut sélectionné Hors Compétition. Abbas Kiarostami ne vint pas à Nantes, mais David Streif, alors directeur du Festival de Locarno, présent à Nantes, sélectionna immédiatement le film pour son Festival. Kiarostami était lancé internationalement. Il ne vint jamais à Nantes avec un autre film, mais il devint notre ami et nous offrit en sa présence une belle exposition photographique en 2005.

« Sur place à Kaboul, dans un pays dévasté, au milieu de militaires en armes, nous sélectionnâmes les films qui avaient été sauvés du bûcher. »

1989, année des Caraïbes avec Cuba pour noyau central. La partie n’était pas facile, l’Icaic organisme officiel ne reconnaissant pas les films avant la Révolution, ils n’existaient pas, ce qui allait contre notre vision cinématographique qui englobait toute l’histoire du cinéma, indépendamment des soubresauts politiques. L’Icaic nous laissa carte blanche pour nos choix des films et des invités post révolution et nous assura sa bonne collaboration pour les copies et les voyages. À nous de nous débrouiller pour la période pré révolution. Heureusement, l’information peut toujours être trouvée, ainsi nous découvrîmes qu’un vieux cinéaste cubain Manuel Alonso, vivait à New York. Il avait réalisé 7 morts sur ordonnance, un petit polar nerveux dans les années 50. Un contact fut établi. Il avait bien encore une copie 16 mm qui dormait chez lui et ne voulait pas s’en séparer. Nous l’invitâmes, mais il était trop vieux pour venir. Un de ses amis scénariste cubain exilé, accepta de voyager avec la précieuse copie. À l’arrivée à l’aéroport de Nantes, il était bien là… Sans la copie. Il l’avait enregistrée en bagage à soute et elle était égarée ! Il ne put dormir la nuit suivante, heureusement elle arriva le lendemain. Alonso n’en su jamais rien. Le scénariste exilé enfin soulagé passa tout son temps avec les invités cubains de l’île. Cette dernière situation insolite se reproduisit quelques années plus tard quand le Festival des 3 Continents permit la rencontre entre des invités Nord Coréens et Sud Coréens qui ne pouvaient le faire dans leurs propres pays.

1990, rétrospective iranienne. La situation cubaine se reproduisit mais de manière différente. La Cinémathèque iranienne nous fournit tous les films désirés postérieurs à la Révolution de 1979. Ils voulaient bien nous envoyer les copies des films pré-révolutionnaires, mais les copies étaient «incomplètes». Nous décidâmes donc de rechercher des «copies complètes» auprès de la diaspora iranienne à travers le monde: Londres, New York, Los Angeles… Le programme finalement établi fut considéré comme «exceptionnel» par le représentant de la Cinémathèque iranienne lui-même. Une petite période de froid entre l’Iran et le Festival s’ensuivit, mais celle-ci fut vite oubliée.

Cette même année 1990, nous reçûmes une VHS, venue par quel miracle du Kazakhstan, pays dont nous n’avions jamais rien reçu, ni vu de films jusqu’alors. Il était sans sous-titres, parlé en kazakh et « sur parlé » en russe. C’était un beau film que nous sélectionnâmes en Compétition: Effleurement (Prikosnovenie) de Amanjol Aitmatov. Il reçut le Prix du public, mais surtout une nouvelle partie du monde s’ouvrait aux 3 Continents, l’Asie Centrale. A la suite de plusieurs voyages dans cette partie du monde, qui n’intéressait à l’époque pratiquement personne, nous consacrâmes ensuite de nombreuses rétrospectives à ces pays qui s’étaient libérés de l’URSS et surtout de Sovexport, organisme russe qui n’envoyait jamais leurs films dans les festivals occidentaux. C’est ainsi que l’immense Tolomouch Okeev ne fut jamais reconnu à sa juste valeur et nous fûmes heureux de l’honorer quelques mois avant sa mort (2002). Heureusement ce ne fut pas le cas de Darejan Omirbaev qui trouva sa reconnaissance à Nantes.

« Devions nous faire un marché du film ? Du moins une plus large programmation ? Nous n’en avions pas les moyens financiers et Nantes ne possédait pas les infrastructures adaptées à un tel projet. »

En 1993 un programme intitulé « Un voyage transatlantique » fut proposé. Il était consacré aux cinémas noirs d’Afrique et d’Amérique latine dans leurs correspondances. Le célèbre Grande Otelo, acteur brésilien qui avait débuté avec Orson Welles dans It’s Ail True réalisé au Brésil, puis tourné avec Nelson Pereira dos Santos Rio Zona Norte et ensuite avec les réalisateurs du Cinéma Novo, dont Joaquim Pedro de Andrade (Macunaïma), était l’invité d’honneur et devait recevoir des mains de Jacques Toubon, alors Ministre de la Culture, une décoration après la projection de Rio Zona Norte. Nous l’attendions avec l’actrice brésilienne Zézé Motta également présente au Festival, lorsque nous reçûmes un appel téléphonique: Grande Otelo venait de mourir à Paris, d’une crise cardiaque à son arrivée à l’aéroport de Roissy, au cours du transit vers Nantes. La projection du film eut lieu à sa mémoire et Zézé Motta nous fit remarquer qu’il était mort à la même heure que son personnage dans le film. L’année suivante lors d’un voyage au Brésil pour préparer un programme sur les «Chanchadas» nous fûmes traités d’«assassins du Grande Otelo»… C’était l’humour noir brésilien !

Au cours de la décennie des années 90, le Festival avait atteint l’âge adulte, les salles étaient pleines et surtout les professionnels du monde entier venaient dans l’espoir de découvrir des perles rares et de nouveaux auteurs. Les acheteurs et distributeurs européens voulaient encore plus de films qu’ils ne voyaient pas ailleurs. Devions nous faire un marché du film ? Du moins une plus large programmation ? Nous n’en avions pas les moyens financiers et Nantes ne possédait pas les infrastructures adaptées à un tel projet (une tentative à la Cité des Congrès s’était révélée un échec). Faut-il aujourd’hui le regretter ? Certainement.

Nous continuâmes donc à maintenir une sélection compétitive au meilleur niveau en recherchant toujours de nouveaux auteurs et à explorer des cinématographies encore inconnues (ou peu connues) dans l’esprit de soutien à la diversité culturelle. C’est ainsi que nous allâmes en Uruguay, en Amérique Centrale, en Mongolie et même en Afghanistan qui sortait de la période «taliban». Sur place à Kaboul, dans un pays dévasté, au milieu de militaires en armes, nous sélectionnâmes les films qui avaient été sauvés du bûcher, ils furent ensuite numérisés par l’INA, puis sous-titrés par nos soins avant leur présentation à Nantes en 2004. Ce programme unique parcourt encore le monde. Dans ces années 90, tout en gardant son esprit initial, le Festival s’il ne pouvait s’agrandir, se devait d’évoluer dans des directions originales, dans un monde qui se modifiait.

En 1996, le Festival qui avait toujours été proche de la photographie devenait le Festival des 3 Continents de l’image filmique et photographique. Le volet photo était calqué sur celui du cinéma. Ce fut une expérience positive mais sans suite après 2 années, faute de subventions, dommage… Il devenait aussi nécessaire d’approfondir la réflexion, parallèlement à la programmation elle-même. En 1999, pour la le fois, le Festival réunissait les cinéastes de tous les pays du Moyen-Orient asiatique, avec une large rétrospective. Une résolution fut adoptée par les cinéastes, appelée 2e Edit de Nantes. C’était un début.

Nous avions toujours pensé que le cinéma était avant tout un art et peu une industrie. Tous nos regards se portaient sur les réalisateurs en tant qu’artistes créateurs. Nous avions ignoré les producteurs. Pourtant peu à peu nous réalisions que sans eux, les films ne pouvaient se faire. Les cinéastes du Sud devenaient souvent leur propre producteur pour réaliser leurs films, mais leur incompétence dans ce métier n’arrangeait pas les choses. Aussi, malgré les aides occidentales, les films d’auteurs du Sud devenaient de plus en plus difficiles à se faire. C’est pourquoi en 2000 sous l’impulsion d’une jeune productrice française, travaillant beaucoup avec les pays du Sud, fut créé «Produire au Sud», séminaire de formation pour les jeunes producteurs du Sud, sélectionnés sur projets. Ce séminaire a aujourd’hui un tel succès — car il répond à une réelle nécessité — qu’il est exporté dans le monde, mais il atteint malheureusement ses limites à Nantes faute de moyens.

En 2003, le Festival s’est ouvert aux documentaires nous offrant ainsi une nouvelle vision du monde, complémentaire de celle de la fiction, mais parfois si proche que l’on se demande aujourd’hui quelles en sont les frontières. C’est une aventure excitante pour tout un pan du cinéma des 3 Continents que nous commençons à connaître.

Aujourd’hui en 2008, sans doute les romantiques aventures cinématographiques associées aux découvertes des territoires inconnus seront moins nombreuses car la mondialisation fait voyager les films et les personnes. L’information circule en tous sens, l’émotion et le désir diminuent, puisque tout semble à portée de main, mais le cinéma est toujours vivant et continue à bouger y compris et surtout dans les 3 Continents et, même si nous ne savons pas encore ce qu’il nous réserve demain, la saga des 3 Continents n’est pas terminée et une nouvelle page s’écrira dès le 30e festival.

Toutefois, à l’heure du bilan, on peut penser que nous aurions pu faire un « petit grand Festival», mais parce que nous avons avant tout aimé les films, animés par une curiosité sans cesse renouvelée, soutenus, depuis le premier Festival par quelques collaborateurs dévoués partageant notre passion, peut-être nous avons-nous au moins réussi à créer un «grand petit Festival» qui bénéficie toujours aujourd’hui d’une telle reconnaissance à travers le monde.

Alain Jalladeau et Philippe Jalladeau
Fondateurs du Festival des 3 Continents

Films

West Of The Tracks
(Tiexi qu)
by WANG Bing
China, Netherlands — 2003
Acts of men
(Atos dos homens)
by Kiko GOIFMAN
Brazil — 2006
After Life
by Hirokazu KORE-EDA
Japan — 1998
Five Girls and a Rope
(Qu jia nu)
by YEH Hung-Wei
Taiwan — 1991
Crime and Punishment
(Zui yu fa)
by ZHAO Liang
China — 2007
Delbaran
(Delbaran)
by Abolfazl JALILI
Iran — 2001
Two Crimes
(Dos crimenes)
by Roberto SNEIDER
Mexico — 1994
They Don’t Wear Black Tie
(Eles não usam black-tie)
by Leon HIRSZMAN
Brazil — 1981
Day and Night
(Ri ri ye ye)
by WANG Chao
China — 2004
Water, Wind, Dust
(Ab, bad, khak)
by Amir NADERI
Iran — 1989
Motherland Hotel
(Anayurt oteli)
by Ömer KAVUR
Turkey — 1987
Yellow Box
(Huang wu shou ji)
by HUANG Ting-fu
Taiwan — 2006
The Runner
(Dawandeh)
by Amir NADERI
Iran — 1985
My Brother Silk Road
(Altyn kyrghol)
by Marat SARULU
Kirghizistan — 2001
The Cheese and the Worms
by Kato HARUYO
Japan — 2005
Le travail
(Baara)
by Souleymane CISSÉ
Mali — 1978
All the Youthful Days
(Feng-kuei-lai-te jen)
by HOU Hsiao-Hsien
Taiwan — 1983
Moonfather
(Luna Papa)
by Bakhtiar KHUDOYNAZAROV
Tajikistan — 1999
Made in Hong Kong
(Xianggang zhizao)
by Fruit CHAN
China, Hong Kong — 1997
My Son, My Precious
(Imagi ningthem)
by Aribam Syam SHARMA
India — 1981
Platform
(Zhantai)
by JIA Zhang-ke
China — 2000
A Few Kilos of Dates for a Funeral
(Chand kilo khorma baraye marassem-e tadfin)
by Saman SALOUR
Iran — 2006
Rouge
(Yin ji kau)
by Stanley KWAN
China, Hong Kong — 1987
Seven Days, Seven Nights
(Siete dias, siete noches)
by Joel CANO
Cuba — 2003
Final Solution
by Rakesh SHARMA
India — 2004
Summer at Grandpa’s
(Dong dong de jiaqi)
by HOU Hsiao-Hsien
Taiwan — 1984
A True Story
(Yek dastan-e vaghe’i)
by Abolfazl JALILI
Iran — 1996
Untamagiru
(Untamagiru)
by Go TAKAMINE
Japan — 1989
The Pickpocket
(Xiao wu)
by JIA Zhang-ke
China — 1997
For Fun
(Zhao Le)
by NING Ying
China — 1992