Compétition internationale
46e édition
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Pedro Armendariz, père et fils

Los dos Pedros

Je regarde les deux Armendáriz qui se regardent dans le temps de l’absence. Parfois, le père Pedro, lève son regard orgueilleux, défiant, sauvage dans certaines occasions. C’est le regard du guerillero, du révolutionnaire, du conquérant. Alors le fils Pedro baisse le sien. Il devient l’homme physiquement fort et au regard bas, vaincu par l’échec ou la trahison de tout ce que le père a vaincu et a forgé, fusil en main. L’Armendáriz moderne est parfois une critique de tout ce dont l’Armendáriz ancien désira et rêva. Le fils incarne la trahison à l’héroïsme du père. Il s’agit de deux Mexique, pour deux Armendáriz. Celui d’hier et celui d’aujourd’hui.

Dans d’autres occasions, c’est Pedro, le père qui baisse le regard et accepte l’injustice et la souffrance comme le rosier qui se plie pour ne pas casser. C’est le marié sans fortune de « Maclovia » et de « Maria Candelaria ». l’Indien sans autre richesse que sa dignité. Alors en son nom, Pedro le fils, lève son regard, monte le cheval sans cavalier de son père et recommence la lutte sans fin pour la terre et le pain au Mexique.

Il y a une zone ambiguë – Distinto amanecer- dans laquelle Père et Fils, Pedro et Pedro, se regardent face à face. C’est une zone urbaine, un fronton peut-être, un cabaret ou une rue solitaire de Mexico où les deux hommes, les deux Armendáriz, Pedro et Pedro, vont à la rencontre l’un de l’autre, en transformant l’absence en présence, réunissant toutes les époques du Mexique dans le XXème siècle, qu’un Pedro inaugure et l’autre referme; père et fils nous offrant et s’offrant le regard de tout ce que nous fûmes et de tout ce que nous sommes. Le père et le fils fraternels par le regard qu’ils nous offrent, qu’ils s’offrent depuis l’écran. Ils incarnent la belle, l’intime, la génésique, l’émouvante vérité du poète Wordsworth : « Le fils est le père de l’homme ».

Carlos Fuentes

Pedro Armendáriz senior et junior

Des atouts uniques : le regard du défi, le rire qui retentit comme le tonnerre, la démarche impériale qui exige des ruines autour et le peuple en armes, la voix qui commande, adoucie par la tendresse, la prestance virile forgée dans une époque qui demandait des exploits pour animer les conversations. Pedro Armendâriz est un phénomène de l’écran, un être plein d’énergie qui rayonne et persuade; une présence filmique qui, par exemple, par un seul mouvement de sourcils, surmonte étonnamment des situations d’amour ou de vengeance.

Armendáriz apparaît dans les années 30, marquées encore par l’écoeurement de la première révolution du siècle : la mexicaine. Avec une exactitude symbolique, il représente aux yeux du pays le révolutionnaire, l’homme qui surgit des champs de bataille, le macho sans fissures, capable de saisir la bouteille comme si c’était une Winchester et, discipliné, de tomber amoureux pour fonder la Nation. Entre la fin des années trente et la fin des années cinquante, Armendáriz incarne la Révolution ; c’est le Mexicain, aguerri par antonomase, l’archétype de la nouvelle espèce qui peuple les fresques de Diego Rivera et les romans de Martin Luis Guzmán. Ce n’est pas en vain qu’il interprète constamment Pancho Villa et devient irremplaçable, car sa qualité filmique ajoute comme personne d’autre à la vigueur d’une époque, il représente l’élan du nationalisme, la certitude ( de courte durée) de l’éclat de la vraie qualité de l’homme au cinéma. Tout cela est involontaire et délibéré. Harrey Carey Jr. dans son livre Company of Heroes, dans ses mémoires d’acteur parle du grand cinéaste John Ford et décrit une discussion entre Ford et Armendáriz qui insistait pour porter le costume de « charro » lors du tournage de Three God Fathers. Ford refuse et Pedro réplique : « Regarde John, tu dois comprendre les gens de mon pays ! Je suis le symbole du Mexique ! J’ai une image à préserver, je ne peux pas me permettre de me tromper d’habit. »

Il s’est rarement trompé. Armendáriz prodigue des images classiques, il incarne le parfait Indien dans Maria Candelaria et Maclovia, le propriétaire d’hacienda dans Flor Silvestre ou bien le révolutionnaire dans Enamorada, Las Abandonadas et La Cucaracha, Pancho Villa, l’homme de la campagne dans El Rebozo de la Soledad, le soldat du western dans She Wore a Yellow Ribbon, le bandit de Three Godfathers, le parfait salaud de We were Strangers, l’activiste syndical de Distinto Amanecer, le héros du feuilleton Las Calaveras del terror, le pélotari de La noche avanza, le pirate de El corsario Negro, le cacique rural et autodestructeur de Rosauro Castro. Très rarement, et seulement dans des comédies, Armendáriz est peu convaincant. Il est dans son élément dans le cinéma épique et le mélodrame, dans l’épopée hétérodoxe des cris, des imprécations, des yeux désireux, des poses statuaires, des volontés de sacrifice, d’avidité d’alcool et de femmes, de dévouement serein à une cause, du fracas qui certifie l’évidence : son attitude ne passe pas inaperçue. Pedro Armendáriz est un acteur remarquable, le symbole éternel de la conception masculine et du machisme, mais surtout, et c’est sur ceci que repose sa pérennité : il possède une grande présence cinématographique, il envahit et subjugue l’écran et extrait de sa personnalité les éléments du close-up. Sujet aux exigences impitoyables d’une industrie cinématographique qui n’a jamais été assez attentive à la qualité, Armendáriz survit à de nombreux films, tristes et lamentables dans lesquels il a tourné mais il est insaisissable dans les excellents films qu’il a tournés. En le regardant, on voit au-delà de la trame des films, du sens de sa personnalité, de la culture des passions débordantes, des reliefs amoureux, précédant l’ambiguïté, mais jamais et d’aucune façon la complexité.

Un des plus grands mérites de Pedro Armendáriz junior est celui d’avoir compris dès le début, les changements psychologiques et le comportement auxquels doit faire face un acteur de nos jours. En général, les grandes personnalités ne prennent de sens que dans les atmosphères démentielles du thriller et du film noir. L’excès qui est associé à l’épique, est aujourd’hui lié à l’anti-épique, aux pousses psychotiques qui font les affirmations du tempérament héroïque. C’est pour cela que la carrière de Armendáriz Jr. est à la marge de la symbolique, en pleine acceptation de rôles très différents dans un cinéma déjà éloigné du culte des archétypes. A sa façon et sans rejeter les engagements qu’implique l’utilisation de son nom, Armendáriz a interprété des êtres positifs et négatifs :un policier à Los Angeles juste avant le tremblement de terre, des détectives dans des films noirs, un délinquant à qui on ne concède pas le pardon (Cadena Perpétua, un film excellent), les riches, les pauvres, les bureaucrates, les criminels qui l’invitent à une carrière qui se poursuit dans une industrie déjà habituée à la discontinuité. Pedro Jr., a connu une époque où on doit déjà être un acteur pour consolider sa présence. Au Mexique et aux Etats-Unis, son accomplissement a été guidé par le professionnalisme, l’économie des moyens d’expression, le sens de l’humour qui caractérise ses traits et son intelligence dans son jeu d’acteur. Ceci et nulle autre chose, s’appelle « le sens dynastique », c’est la capacité de poursuivre la voie paternelle, sans jamais renoncer à son propre style.

Carlos Monsiváis

Films