Deux acres de terre
(Do Bigha Zamin)

Redécouvrir Deux acres de terre (présenté une première fois aux 3 Continents en 1984 et récompensé à Cannes par le Prix international en 1954) dans sa version restaurée, c’est retrouver l’une des impulsions fondatrices du cinéma indien moderne. Bimal Roy y filme la dépossession d’un paysan réduit à mendier son propre champ — deux bighas de terre — avec une empreinte néoréaliste inédite. Mais la beauté de cette restauration tient à ce qu’elle restitue la densité du regard de Roy : la lumière poudreuse du Bengale, les visages encore mal connus de Balraj Sahni et Nirupa Roy, la vibration du monde rural confronté à la mécanique urbaine. Derrière son récit d’exploitation et de migration, le film capte une bascule historique : celle d’une Inde indépendante mais déjà inégalitaire. La restauration rend à cette œuvre sa texture morale : celle d’un cinéma d’une grande clarté, où s’éprouve la distance fragile entre la dignité et la survie. Deux acres de terre est ainsi à revoir aujourd’hui, non pas comme un vestige, mais comme une conscience.
Jérôme Baron