Festival 3 Continents
47e édition
21>29 NOV. 2025, Nantes
21>29 NOV. 2025, Nantes

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All about love

Les histoires d’amour au cinéma ressemblent à une formule inlassablement reprise : coup de foudre, déclaration, séparation douloureuse et retrouvailles jusqu’au happy end attendu. Alors pourquoi continue-t-on à les aimer autant ? Sans doute parce qu’on ne tombe pas tous les jours amoureux et que le simple fait de voir, même sur un écran, ce sentiment naître et éprouvé par d’autres, nous ramène au désir d’habiter l’idée même de la réalité amoureuse.
Pour explorer ce désir, ce programme thématique ambitionne d’élargir l’idée de l’amour aux multiples formes d’attachement (amitiés, affection, tendresse) qui sont autant de manières de faire des « nous » avec les autres, d’un continent à l’autre.

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Au cinéma, les histoires d’amour se succèdent et, en apparence, se ressemblent : une rencontre, un frisson, une séparation, des retrouvailles. Cette formule, mille fois rejouée, ne perd pourtant rien de sa force d’évocation. Nous la connaissons par cœur, et pourtant, chaque fois elle peut encore nous émouvoir. Peut-être parce qu’elle rejoue le mystère fondamental du sentiment amoureux, ce vif-argent dont l’alchimie demeure secrète : oscillation entre l’évidence et le manque, entre la promesse et la perte.
Si nous continuons d’aimer ces récits, c’est qu’ils condensent ce que la vie, souvent, dilue : l’intensité d’une présence, la brûlure du désir, la beauté fragile et précieuse d’un lien.

Mais aimer, au cinéma comme dans l’existence, ne se réduit pas à l’étreinte des amants. L’amour se déploie sous d’autres formes, innombrables et singulières, auxquels ce programme thématique veut aussi s’ouvrir : amitié, tendresse, solidarité, filiation. Autant de manières d’inventer un « nous » avec les autres. C’est dans cette pluralité que se loge la vérité du sentiment : aimer, c’est habiter le monde à travers autrui, découvrir dans l’autre celui ou celle que nous ne sommes pas.

Ainsi, dans Yaaba d’Idrissa Ouedraogo, au cœur d’un village burkinabé, deux enfants se lient d’amitié avec une vieille femme ostracisée par la communauté. Entre eux, aucune romance, mais une affection pure, indéfectible, qui défie les préjugés. Le film rappelle que l’amour, avant d’être passion, est reconnaissance — ce regard posé sur l’autre, simplement pour ce qu’il est. Cette leçon de douceur irrigue le récit comme ce fleuve où les enfants jouent, retissant, par la parole, le geste et la confiance partagée, le tissu même du lien humain.

À l’autre bout du monde, Take Care of My Cat de Jeong Jae-eun met en scène l’amitié de cinq jeunes femmes coréennes à l’orée de l’âge adulte. L’animal du titre circule entre elles comme un fil invisible, métaphore d’un lien persistant malgré les distances et les métamorphoses de leurs vies contrariées. Ici, l’amour devient sororité, écoute, soin : il s’écrit dans les silences, les messages échangés, les absences comblées par la tendresse. Le film dit quelque chose de notre époque : aimer, c’est parfois continuer à écrire, même lorsque les mots ne suffisent plus.

Dans The Lunchbox, Ritesh Batra filme, à travers des repas égarés par erreur, la correspondance entre deux solitudes à Mumbai. L’amour y est un parfum, un goût, une attention silencieuse portée à l’autre sans jamais le toucher. Ce n’est pas le grand feu romantique, mais la braise discrète d’un lien né du hasard et de la patience. Le cinéma nous enseigne alors que l’amour n’est pas toujours éblouissement ; il peut être aussi hospitalité du cœur : cette imprévisible ouverture à l’inconnu dans le quotidien.

Joyland, de Saim Sadiq, pousse plus loin encore cette exploration en filmant la naissance d’un désir interdit dans une société qui le refuse. Ici, aimer devient un acte de résistance : affirmer la complexité du désir, la dignité des émotions, la légitimité d’exister autrement. Le film déploie un amour à la fois intime et collectif, traversé par la honte, le courage et la lumière des possibles. Il rappelle que le cinéma, lorsqu’il filme l’amour, parle aussi de liberté de choix.

Dans Une histoire d’amour et de désir de Leyla Bouzid, le sentiment devient apprentissage. Un jeune homme franco-algérien découvre, au contact d’une étudiante venue de Tunis, la sensualité et la pudeur mêlées d’un héritage culturel qu’il ignore. Aimer, ici, c’est se réconcilier avec soi-même : rencontrer une langue ignorée, extension au présent de sa propre histoire. La réalisatrice rappelle que le désir peut devenir connaissance de soi, traversée à la fois sensuelle et spirituelle de la vie.

D’autres films déplacent encore la question. Dans Une mère incroyable de Franco Lolli, c’est la force inconditionnelle de l’amour maternel qui s’impose — un amour qui protège, affronte, et parfois déborde. Avant la fin de l’été de Maryam Goormaghtigh, quant à lui, suit trois amis iraniens sillonnant la France avant un retour au pays. Leur road trip mélancolique se fait méditation sur l’amitié, l’exil et le désir d’appartenance. L’amour, ici, n’est plus passion à deux, mais sentiment diffus, chaleur humaine qui circule d’un visage à l’autre.

De Yaaba à Joyland, de The Lunchbox à Avant la fin de l’été, ces films composent une cartographie sensible du sentiment, traversant continents, âges et genres. Ils rappellent que l’amour est moins une affaire réglée qu’un mouvement jusqu’au frôlement comme dans In the mood for love : tension entre manque et plénitude, entre réel et imaginaire.

L’amour au cinéma n’est pas une évasion du monde. Il invente ou découvre un espace d’expérimentation du sentiment, une pensée du lien. Le cinéma ne se contente pas de représenter l’amour : il en explore les formes, les rythmes, les silences, fait de sa matière une expérience du sensible et des intensités. L’empreinte laissée par le film peut ainsi transcender l’écho d’une émotion passagère et former l’hypothèse d’un regard transformé — un apprentissage de la présence, de l’altérité. « On attend que le possible, on ne vit que le réel » écrivait le philosophe André Comte-Sponville à propos de l’amour. Et comme à son habitude, le cinéma ne choisit pas : il veut tout, aimer.

Jérôme Baron

Films