Compétition internationale
46e édition
15>23 NOVEMBRE 2024, Nantes
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The Stories of Ann Hui

SONG OF THE EXILE de Ann Hui

Avec plus de trente longs métrages réalisés à partir de 1979, Ann Hui est la plus prolifique réalisatrice de l’histoire du cinéma asiatique. Mais la place qu’elle occupe dans le cinéma hongkongais est pour le moins paradoxale. Moins connus du public occidental que ceux de ses compatriotes masculins de la Nouvelle Vague (Johnnie To, Wong Kar-Wai, John Woo, Patrick Tam, Tsui Hark, Yuen Woo-Ping), ses films comptèrent pourtant au tournant des années 1970 et 1980 parmi les signes de la régénération d’une cinématographie appelée à devenir l’une des plus emblématiques d’Asie. Cette rétrospective est une invitation à parcourir une œuvre qui, ouverte au cinéma de genre (thriller, mélodrame, film de sabre…), porte une attention soutenue à la question de l’exil, à l’histoire et à l’identité hongkongaises.

Editorial – Deux ou trois choses que je sais de Ann Hui par Clarence Tsui

(1) Elle n’aime pas parler de son travail.

Cela peut paraître étrange et être décevant de voir Ann s’absenter d’une rétrospective de son œuvre. Mais pas d’inquiétude : que ce soit en privé, en interview ou sur scène devant un public, elle a tendance à renvoyer les questions avec une méthode éprouvée : un haussement d’épaules, une expression ébahie, un rire contagieux et, enfin, un « je n’ai pas réfléchi à ça ».

Au fil du temps, pendant bon nombre des conversations que j’ai eues avec elle lors de tournées de promotion, elle a insisté sur le fait que cela ne l’intéresse guère d’expliquer sa motivation et de donner plus de détails sur les raisons d’être de ses films. Cela, elle ne le dit pas parce qu’elle estimerait que ces bavardages sont indignes d’elle ; plutôt, plus d’une fois elle m’a dit – avec son mélange caractéristique de modestie et d’ironie – qu’elle n’est qu’une « réalisatrice à la tâche ».

Sa filmographie semble soutenir sa déclaration : son œuvre comprend des mélodrames politiques, des comédies surnaturelles, des thrillers d’action, des biopics littéraires et elle ne semble pas avoir un « style » distinctif en tant que tel. C’est à peine si un fil rouge thématique sous-tend son œuvre immense, qui couvre soixante ans d’histoire. C’est comme si elle ne faisait que fabriquer les films en passant, s’affairant en fonction des projets qui arrivent dans ses mains.

Mais elle n’est assurément pas une besogneuse. Voilà quelqu’un qui a étudié l’anglais et la littérature à l’Université de Hong Kong et qui a ensuite étudié la réalisation à Londres pendant deux années supplémentaires. Elle connaît le cinéma de l’intérieur et c’est une cinéphile authentique ; son mémoire de master portait sur Alain Robbe-Grillet.

Peut-être, plus simplement, ne veut-elle pas que l’on confonde sa vie et son œuvre ? Sa fascination de toujours est l’impact que peut avoir le déracinement sur les personnes – une question qui la concerne de près, puisqu’elle est née en Chine du Nord d’une mère japonaise, a grandi à Hong Kong pendant l’époque coloniale, a étudié au Royaume-Uni et a travaillé (brièvement) à Singapour : l’exil est une chose courante dans son œuvre. Il s’étend des migrants vietnamiens dans Boat People : Passeport pour l’enfer et The Story of Woo Viet à la fuite des révolutionnaires anti-Qing dans Princess Fragrance, des démêlés d’un étudiant chinois avec des malfrats japonais, dans Zodiac Killers, au défi comique d’une femme qui, face à ses racines rurales, se réinvente en professeure d’anglais avisée à Shanghai, dans The Postmodern Life of My Aunt, ou encore à la fuite vers le sud, à Hong Kong, de Chinois de tous horizons dans Song of the Exile et The Golden Era.

(2) Elle n’aime pas écrire

Tout comme Ann déteste parler de ses films, elle n’aime pas plus écrire. Elle n’a jamais rédigé ses mémoires ; tous les livres sur elle – et il faut admettre qu’ils sont peu nombreux – sont des livres sur elle, écrits par d’autres.

D’une certaine manière, Ann est comme Martin Scorsese, ou, plus près de chez elle, Johnnie To. Elle a quelque chose à dire, mais elle préfère que ce soit un écrivain qui transforme ses idées en scénario – ou, dans certains cas, elle préfère trouver un texte préexistant qui convient à sa pensée. Et il se trouve qu’elle a travaillé avec quelques-uns des meilleurs scénaristes de sa génération : Joyce Chan (The Secret, Spooky Bunch, Boat People : Passeport pour l’enfer), Wu Nien-jin (Song of the Exile), Ivy Ho (July Rhapsody), Li Qiang (The Golden Era) et Wang Anyi (Love After Love).

(3) Elle ne travaille pas longtemps avec les mêmes personnes.

À l’inverse de bon nombre de ses pairs chevronnés, Ann ne travaille pas dans un grand bureau avec une armée d’assistants à sa disposition ; la plupart du temps, elle travaille seule dans le petit bureau de sa société, Class Productions, dans le quartier central de Wan Chai. Elle n’a pas une troupe d’acteurs avec qui elle tournerait régulièrement. Son point fort réside dans sa dextérité à travailler avec des collaborateurs dont elle façonne les idées et les performances au gré de sa propre vision.
Et ces collaborateurs sont excellents. En plus de formidables scénaristes (avec qui elle a eu l’habitude de travailler parfois quelques années), ses actrices sont tout simplement exceptionnelles. Le pilier du cinéma hongkongais Josephine Siao a remporté le Prix de Meilleure Actrice à la Berlinale avec Summer Snow; Loretta Lee s’est révélée en remportant un Golden Horse pour Ordinary Heroes; et les vétérans longtemps négligés Paw Hei-ching et Deanie Yip ont atteint tardivement des sommets dans leur carrière avec The Way We Are et Une vie simple. Les acteurs principaux brillent, éclipsant parfois la réalisatrice.

(4) Elle n’aime pas voyager.

Quand j’ai commencé à aider le festival à approcher Ann à propos de sa possible venue à Nantes, elle s’est montrée hésitante. Non qu’elle ne se sente pas honorée, mais son corps de 76 ans ne supporte plus très bien les vols long-courriers. Elle a bien réussi à braver de temps à autre ces terribles vols transcontinentaux, comme lorsqu’elle est a reçu un Prix d’honneur au Festival de Film de Venise en 2020. Elle a aussi expliqué être toujours sur la brèche : un projet en préparation ici, la post-production d’un autre là, peut-être une promotion locale pour une nouvelle sortie, aussi. Alors que vous lisez ces lignes, elle s’occupe de la sortie nationale
et taïwanaise de Elegies, un documentaire sur des poètes hongkongais vivant à différents endroits en Asie.
Pourtant Ann fut parmi les premières de sa génération de la nouvelle vague à voir ses films voyager à l’étranger. La première diffusion de ses deuxième et troisième longs métrages, The Story of Woo Viet et Boat People : Passeport pour l’enfer, ont eu lieu à Cannes en 1982 et 1983. Mais Ann ne semble pas être de celles et ceux qui se plaisent à être sous les projecteurs. Il y a quelques années, après la sortie de The Golden Era, j’ai demandé à Ann si elle allait faire une pause après le processus de production éprouvant et tortueux du film. Non, me rétorqua-t-elle : il y a tant de choses qu’elle aimerait encore faire et elle ne perdra pas de temps, avant qu’il n’y en ait plus du tout.
Les gros fumeurs détestent prendre l’avion, et c’est peut-être aussi à cause de cela qu’Ann est réticente à faire de longs voyages. Parfois je me demande si la place la plus confortable aux yeux de Ann lors de ses premières ne serait pas à l’extérieur du cinéma, où elle peut prendre une bouffée, se détendre – et peut-être même bavarder avec d’autres membres du public, comme elle en mal de nicotine.
Peut-être est-ce à cause de tout cela – son hésitation à prendre l’avion, à faire des rencontres publiques, à être enfermée dans une pièce pour parler de choses dont elle a peut-être déjà parlé maintes fois, ou même de revenir sur des films qu’elle a réalisés il y a fort longtemps – que son travail demeure relativement méconnu en dehors de son pays. C’est donc une joie que la diversité de sa filmographie puisse être célébrée aux 3 Continents cette année – fenêtre sur un état d’esprit et sur l’évolution de l’état des choses à Hong Kong, au cours de décennies parmi les plus tumultueuses de son histoire.
Clarence Tsui
Clarence Tsui est journaliste, critique et programmateur de cinéma. Il vit à Hong Kong.

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