Raison et sentiments
(Sense and Sensibility)

Après sa trilogie sur la famille chinoise, Ang Lee déplace ses interrogations dans l’Angleterre de Jane Austen et prolonge avec Raison et Sentiments son exploration des liens d’appartenance et d’héritage. Là où ses films précédents confrontaient les générations, la surface policée du récit n’est ici qu’un vernis de convenance qui sied à un monde où la logique économique et les normes sociales façonnent les émotions en évacuant toute moralité.
Il y a ici toute une grammaire du sentiment, de la manière dont l’émotion naît, s’ajuste, négocie avec le poids des codes, du rang et des mots eux-mêmes. Le classicisme de la forme agit doublement comme masque et révélateur : derrière l’apparent équilibre du décorum et la mesure du ton sourd une interrogation obstinée sur la survie du sentiment dans un univers gouverné par l’intérêt. Jérôme Baron