Lust, Caution
(Se, jie)

En adaptant le bref et vertigineux récit d’Eileen Chang, Ang Lee revient au monde chinois par son envers — celui du secret, de la trahison et du désir pris dans les rets de l’Histoire. Le film prolonge l’ambiguïté du texte original : érotisme et patriotisme, passion et manipulation, tout s’y confond jusqu’à rendre illisible la frontière entre masque et vérité. Là où l’écrivaine sondait la politique à travers l’intimité des femmes, Lee filme le corps comme champ de bataille moral, lieu d’un vertige où le geste d’aimer se retourne contre lui-même. Dans le raffinement étouffant du Shanghai occupé, Ang Lee déploie une mise en scène de la porosité : chaque scène oscille entre feinte et abandon, entre contrôle et débordement, comme si le cinéma lui-même s’abandonnait à ce qu’il prétendait contenir. Le film n’en devient que plus tragique. Jérôme Baron