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Ruy Duarte de Carvalho et la balance du temps sur la scène angolaise

22 Avril 2021
2-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
1-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
3-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
4-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
5-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
6-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
7-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
8-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
9-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho
10-O Balanço do Tempo... de Ruy Duarte Carvalho

Se souvenir de Ruy Duarte de Carvalho, qui aurait eu 80 ans aujourd’hui, c’est aller à la rencontre d’une des figures les plus singulières du cinéma d’Angola. Une voix aux sensibilités multiples – prosaïque, poétique, ethnographique, esthétique – qui a saisi et écrit en même temps un moment essentiel de l’histoire de ce pays.

Lorsque, pendant la dictature de Salazar, les étudiants africains disposant de solides ressources sont envoyés au Portugal, Ruy Duarte de Carvalho, d’origine portugaise, revient avec un diplôme de contremaître agronome à Moçâmedes, dans la province de Namibe. C’est en ce lieu, auquel il décidera d’appartenir sans équivoque (« le lieu exact de ma naissance biologique » dit-il), qu’à l’âge adulte il prendra conscience (de manière brutale, dans le cadre d’un soulèvement nationaliste) qu’il y a une raison d’être de l’Angola et que cette raison se heurtait à l’autorité coloniale portugaise.

Le cinéma de Carvalho est alors pris dans ce « cinéma d’urgence » produit en Angola dans l’après-74, une période de transition politique au cours de laquelle l’image du nouveau pays indépendant se construisait. La télévision angolaise et l’Institut angolais du cinéma apportèrent une contribution décisive à cette ambition. Utilisant ces ressources mais à l’écart des registres journalistiques et propagandistes, Carvalho entre dans le cinéma par la poésie et, à travers le cinéma, il a voyagé et filmé son pays en anthropologue. L’exemple le plus remarquable que nous puissions évoquer est O Balanço do Tempo na Cena de Angola (1982), film quasiment inconnu que nous avons eu l’occasion de montrer à Nantes en 2016 dans le cadre d’un vaste programme traitant des mémoires et questions identitaires entre pays d’Afrique et le Portugal.

Dans ce film, le réalisateur évoque la Terre avant même l’apparition de l’australopithèque, la biodiversité et la mosaïque des peuples pour, déjouant la relativité du temps, faire la preuve de leur égalité transversale. Ce n’est qu’après ce prélude en forme de cosmologie quasi-animiste que la carte de l’Angola s’ouvre (littéralement) et que nous sommes invités à fouler son territoire. Carvalho filmant les gestes du quotidien en même temps qu’il convoque des vers de poètes de son pays (“la poésie est là, dans la germination du maïs, dans la récolte du manioc“…), les défilés du premier carnaval de la Victoire, les drapeaux rouges de la libération de l’Angola, les processus industriels qui atteignent les champs de coton, les chansons de la révolution. Son regard n’est ni militant, ni apolitique, il absorbe avec douceur les célébrations de la renaissance d’un pays, il en révèle aussi les contradictions les plus subtiles et les plus mélancoliques.

Se souvenir de Ruy Duarte de Carvalho, c’est se souvenir de son indépendance absolue et de l’exceptionnelle largeur de vue avec laquelle son œuvre a contribué à donner corps à un pays qui cherchait aussi sa propre voix. C’est aussi combler un oubli, désigner une page manquante, unique et sans descendance repérable, dans l’histoire des cinémas africains.

Aisha Rahim

Une grande partie de la filmographie de Ruy Duarte Carvalho, dont le film O Balanço do Tempo na Cena de Angola, peut être vue dans le dépôt virtuel suivant : https://vimeo.com/rdcvirtual.

Ruy Duarte de Carvalho (22 avril 1941 – 12 août 2010 )

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