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Hommage à Serge Daney

Avec l’aimable autorisation et soutien des Editions P.O.L. pour la reproduction dans le catalogue F3C 2012 des extraits d’articles de Serge Daney rassemblés sous le titre : La Maison Cinéma et Le Monde. http://www.pol-editeur.com/

Trait d’union

Bien que cela ait été d’abord sans lien direct, ma rencontre avec certains textes de Serge Daney recoupent à peu de choses près la date de mes premiers écarts tricontinentaux. La régularité de la lecture comme l’assiduité au festival s’avèrent vite des coïncidences profitables circonscrites par d’autres découvertes, elles aussi mémorables. C’est le moment où l’on vérifie que le cinéma compte pour d’autres, celui où sans connaître personne, on se sent tout de même un chouïa moins seul. Une tension indécise, mais d’ordre général, me semble aujourd’hui la source d’une affinité élémentaire avec Daney, primant sur l’exaltation ressentie pour des films dont il faisait si brillamment l’éloge. Nombreux sont les articles irrigués par ce mouvement qui oriente souterrainement la réflexion critique. Risquons-nous à le résumer laissant au passage le loisir à chacun d’en préciser la formule : les films vivent-ils en nous (au point d’étendre aussi les possibles de notre rapport au monde) ou bien nous satisfaisons-nous de chercher à travers eux ce que la vie se dérobe à nous offrir ? Aucun désordre ni dissension autour de cette singularité qui est le propre de la condition cinéphilique. Mieux encore, si l’on suit Serge Daney dans l’amplitude toujours renouvelée de son écriture, au fur et à mesure que les rapports (au) du cinéma à ce dont il se nourrit se réajustent à l’extension du domaine audiovisuel, il semble témoigner avec une exigence jamais hors d’atteinte de ce que signifie être acteur plutôt que spectateur des films. Écrire consistant d’abord, essentiellement, à revenir sur l’expérience du film pour la mieux redéplier, c’est-à-dire, à le regarder encore depuis le monde, depuis la société, du haut coin de la rue.

(Re)Lire les écrits de Serge Daney, c’est en premier lieu vérifier cette extraordinaire envie d’aller y voir de plus près, de demander à voir, les films, les gens qui les font, et les mondes dont ils viennent. Voyageant, il donne le sentiment de l’avoir irréductiblement fait à la fois pour lui et pour d’autres : le critique, bon marcheur, se muait assurément en éclaireur. L’exercice est profitable, et même conduite en solitaire, la déambulation se peuple infiniment. À Nantes, aux côtés d’Alain et Philippe Jalladeau, il trouvait une autre possibilité de rendre compte de ses voyages et du cinéma, de poursuivre ces cinés-voyages aussi. On a souvent rappelé, avec justesse, le rôle central et fondateur de la carte géographique dans l’imaginaire de Serge Daney. Le Festival des 3 Continents aura été pour un temps (1979 – 1985) un des endroits où il participait à sa mise à jour, allant et venant entre le contemporain et le passé d’un cinéma pour une large part invisible. Une autre carte se faisait jour. Il l’écrivait. Racontant l’histoire de ces découvertes, elles contribuaient activement à l’étendue de sa réflexion critique au point d’anticiper, parfois avec une acuité sidérante, des variantes à la repolarisation en cours du monde des images dont nous sommes les témoins.

De là où nous (en) sommes, nous aurions pour lui une bonne nouvelle. Bien que les films soient nombreux et le cinéma (parfois) rare, il ne manque pas. Surtout, il ne semble pas décider à lâcher son dernier râle. Nous le voyons encore passer ici ou là, agiter sous nos yeux le bout de sa queue revêche à tout dressage avec une vigueur que nous ne saurions manquer de repérer. Nous aimerions lui dire encore, à travers l’humble hommage que nous souhaitons lui rendre, que sans le savoir, depuis un continent lointain il poursuit de nous parler avec sa voix ronde et grave, nous encourage à tenir fermement la barre.

Jérôme Baron

 

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